Pierre-Jean de BĂ©ranger/Jean-Louis Bergheaud
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.
Parlez-nous de lui, grand'mère ;
Parlez-nous de lui.
(texte)
Les souvenirs du peuple
On parlera de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps.
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
LĂ viendront les villageois
Dire alors Ă quelque vieille :
Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez notre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.
Parlez-nous de lui, grand'mère ;
Parlez-nous de lui.
Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa.
Voilà bien longtemps de ça :
Je venais d'entrer en ménage.
Ă€ pied grimpant le coteau
OĂą pour voir je m'Ă©tais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui je me troublai,
Il me dit: bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère.
- Il vous a parlé, grand'mère !
Il vous a parlé !
L'an d'après, moi, pauvre femme,
Ă€ Paris Ă©tant un jour,
Je le vis avec sa cour :
Il se rendait Ă Notre-Dame.
Tous les coeurs Ă©taient contents ;
On admirait son cortège.
Chacun disait : quel beau temps !
Le ciel toujours le protège.
Son sourire Ă©tait bien doux ;
D'un fils Dieu le rendait père,
Le rendait père.
- Quel beau jour pour vous, grand'mère !
Quel beau jour pour vous !
Mais, quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux Ă©trangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper Ă la porte ;
J'ouvre, bon Dieu ! C'Ă©tait lui,
Suivi d'une faible escorte.
Il s'assoit oĂą me voilĂ ,
S'Ă©criant: oh ! Quelle guerre !
Oh ! Quelle guerre !
- Il s'est assis là , grand'mère !
Il s'est assis lĂ !
J'ai faim, dit-il, et bien vite
Je sers piquette et pain bis ;
Puis il sèche ses habits,
MĂŞme Ă dormir le feu l'invite.
Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit : bonne espérance !
Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part ; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,
Gardé son verre.
- Vous l'avez encor, grand'mère !
Vous l'avez encor !
Le voici. Mais Ă sa perte
Le héros fut entraîné.
Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.
Longtemps aucun ne l'a cru ;
On disait : il va paraître.
Par mer il est accouru ;
L'étranger va voir son maître.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
Fut bien amère.
- Dieu vous bénira, grand'mère ;
Dieu vous bénira.
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