09 septembre 2011
Le site officiel livre quelques unes des clés de "Grand Lièvre" :
Il arbore de vertigineuses oreilles, est célèbre pour sa vélocité et hante de nombreuses légendes à travers la planète. Les Indiens d’Amérique en ont même fait une divinité à la fois esprit farceur et architecte de l’univers. Mais si Jean-Louis Murat a intitulé « Grand Lièvre » son nouvel album, c’est davantage par amour de l’animal que par souci de mythologie ésotérique. Grand lièvre, symbole d’une espèce en voie de disparition, métaphore d’une terre perdue…
Deux ans que Jean-Louis n’avait publié d’album. Le dernier, « Le Cours Ordinaire des Choses », l’avait vu explorer les contrées country du côté de Nashville, Tennessee. « Grand Lièvre » a retrouvé gîte et harde, repères et compères. Enregistré en quelques jours dans le sud de la France, avec les fidèles Fred Jimenez et Stéphane Reynaud, épaulés par le pianiste Slim Batteux, le disque sonne comme s’il avait été capté dans les conditions du live : « Il y avait un magnéto 24 pistes qui tournait en continu, raconte Jean-Louis. Le principe était « on ne touche à rien ». Je voulais conserver tout ce que le mixage enlève habituellement, le travail, la sueur, les interrogations, les erreurs. »
Une musique qui, paradoxalement, n’a jamais été aussi limpide et énigmatique à la fois. Un son compact, précis, dominé par une section rythmique inflexible, un orgue impérieux et la guitare 12 cordes de Jean-Louis. Le tout zébré de bruissements, bruitages et dialogues mystérieux, et, nouveauté muratienne, de choeurs hypnotiques et lumineux. « Au moment de l’enregistrement, j’écoutais beaucoup de groupes de rock indé des années 90, comme Swell, Silver Jews, explique Jean-Louis. J’avais envie de retrouver cette matière sonore, ce travail de groupe. » Tout au long des dix chansons du disque, on retrouve les thèmes chers à l’auteur du « Manteau de pluie » : la nature, la dérision de la condition humaine, le doute, l’amour, la solitude. Mais ici magnifiés, nimbés de mélodies tournoyantes et évidentes, à la fois familières et surprenantes. Comme dans « Vendre les prés », constat implacable du dépeuplement des campagnes, repris dans « Haut Arverne », hommage mélancolique au terroir de l’auteur.
Thèmes nouveaux aussi, comme celui de la cruauté de la guerre, évoquée dans « Sans pitié pour le cheval » ou « Rémi est mort ainsi », l’une inspirée par un ancêtre homonyme, un Jean-Louis Bergheaud héros de la guerre de 14-18, l’autre évoquant la Résistance à travers Rémi et Colette, personnages des manuels d’initiation à la lecture d’antan. Dont les syllabes dansantes parsèment souvent les choeurs de l’album, onomatopées en forme de clin d’oeil paternel malicieux.
Dans « Qu’est ce que ça veut dire », allusion à la perte de mémoire, on entend la voix d’Andreï Tarkovski, réminiscence de l’album « Cheyenne Autumn ». Dans « Le Champion Espagnol », c’est la silhouette de Federico Bahamontes qui surgit au détour d’un lacet du col du Tourmalet. Et dans « Alexandrie », dédiée à une amie disparue, c’est Cléopâtre qu’on imagine juchée sur son trône.
« Les Rouges Souliers » et « La Lettre de la Pampa », entre conte d’Andersen et missive façon Leonard Cohen, parachèvent un album riche, aux reflets changeants et aux détours inattendus. Encore rehaussé par « Je voudrais me perdre de vue », ode au dédoublement de personnalité, avec ses riffs lancinants et sa rythmique acrobatique virevoltant de ternaire en binaire.
Grand Lièvre, grand oeuvre, du Murat au sommet de son art, intime et immédiat, secret et universel. Son meilleur album ?
A savourer avec de grandes oreilles.